Mailly2Editorial de Jean-Claude Mailly (FO-Hebdo) du mercredi 17 février 2016

Numérisation, digitalisation, 4e révolution : beaucoup de choses sont dites ou écrites sur ces questions. À l’heure actuelle, l’effet sur l’emploi est controversé, notamment au plan quantitatif.

Nous devons dans l’immédiat nous intéresser plus particulièrement à deux volets : ceux des effets possibles sur les secteurs d’activité et sur la nature et le statut de l’emploi.

Toutes les activités (industrielles comme de service) sont potentiellement visées et les frontières entre secteurs risquent d’être de plus en plus perméables ou floues. Ainsi, une industrie de consommation continuerait à produire mais tout l’aspect service-livraison pourrait être pris en charge par des plates-formes numériques, qui pourraient alors prendre un ascendant sur l’entreprise.

C’est par exemple le cas de Booking.com pour l’hôtellerie.

Ce sont aussi de nouvelles concurrences pour des activités existantes (cas d’Uber par rapport aux taxis).

Les problèmes posés sont, par exemple :

− Qui paye les impôts et où ?

− Qui est employeur ou intermédiaire entre un client et son fournisseur ?

− Quelle est la nature des emplois et leur statut ? Salarié, indépendant, tâcherons ?

− Comment assurer un accès à la protection sociale collective ?

En la matière, pour le moment, les faits précèdent malheureusement le droit et leur caractère international et transversal n’arrange rien.

Une plate-forme comme Upwork ne se définit pas comme employeur, mais comme un endroit où une grande entreprise peut proposer des tâches à l’encan. Dix millions de « freelancers » y sont enregistrés, de plus de quarante pays, pour des tarifs à moins de 10 dollars l’heure pour 73 % d’entre eux.

Et ils ne bénéficient, pour ces tâches, d’aucune protection particulière.

Amazon, elle, a mis en place une application conduisant, dans le monde entier, des travailleurs à attendre une tâche derrière leur ordinateur, n’étant payé (sans normes) que si leur commanditaire est satisfait ! Ce sont ce qu’on peut appeler des galériens du numérique.

On est donc loin, quand une relation financière est en jeu, du réseau coopératif où l’argent n’est pas en jeu, mais uniquement l’échange ou la mise en commun.

À titre individuel on est aujourd’hui soit salarié, soit indépendant et il n’y a a priori aucune raison de trouver un autre statut. Il n’en reste pas moins que dans un système capitaliste où la philanthropie ne peut être que du marketing, il est indispensable de réguler les choses et de ne pas laisser « au marché » le soin de le faire. Ne pas le faire serait laisser la concurrence s’installer entre le salarié et l’indépendant dans une course au dumping social qui ne serait favorable à court terme qu’aux donneurs d’ordre.

Cela vaut pour les conditions sociales, économiques et fiscales.

Il ne s’agit pas de s’opposer aux progrès techniques ou technologiques, mais de les maîtriser en les encadrant.

Imagine-t-on demain une utilisation de ces progrès visant à systématiser le référendum et, ce faisant, à court-circuiter systématiquement la négociation collective et le rôle du syndicat ?

Ce n’est pas la technologie qui est en cause mais l’objectif qu’on lui fixe. Autrement dit, comme toujours, elle peut être un outil de libération ou d’émancipation, comme elle peut être un outil servant un dessein totalitaire.

Cela explique pourquoi le syndicalisme ne peut pas se désintéresser de ces questions.

Les galériens du numérique ont eux aussi le droit d’être collectivement représentés.